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Amour, féminité et rédemption.

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La dolce vita est peut être le plus grand film de Fellini. Pourtant, la seule scène qui reste gravée dans la tête du quidam moyen est celle où Anita Ekberg fait trempette dans la fontaine de Trevi. Bien entendu cette scène s’inscrit dans ce que l’on peut nommer la première couche du film, son côté exotérique si l’on veut. Toutefois cette scène dite « culte » peut nous détourner de rapports plus essentiels entretenus par le personnage principal du film Marcello Rubini avec les différentes figures féminines du film. Suscitant tour à tour rejet, espoir, sentiment de déréliction, ou encore promesse de rédemption, elles marquent les étapes du développement intérieur de Marcello. Emma, la fiancée de Marcello, tente d’ancrer ce dernier dans la conjugalité. Figure étouffante et possessive, elle agit comme agent de territorialisation  en s’efforçant de figer son désir. Elle représente tout ce à quoi essaie d’échapper le personnage principal. Dépendante affective, ses sentiments relèvent autant de l’attachement maternel que de l’amour d’une femme pour un homme. Elle l’infantilise et le culpabilise. Marcello, lors d’une dispute le lui signifiera violemment « Je ne crois pas à cet amour agressif, collant, maternel. Je n’en veux pas, il ne me sert pas ».

C’est à partir de cette relation que les scènes avec Anita Ekberg prennent un sens. la star américaine est l’antithèse d’Emma, elle occupe pour Marcello, sur le plan fantasmatique, la place diamétralement opposée à celle occupée par Emma sur le plan réel. Désir pur pour une image d’un côté, rejet absolu du réel de l’autre. Mais, ni l’une ni l’autre ne sont des possibles pour Marcello et le désir pour l’actrice n’est finalement qu’un point de fuite dans la vie du journaliste. Au couple composé par la mère et la femme irréelle vient s’ajouter dans un deuxième mouvement le duo composé des figures de l’ange et du démon. Marcello a une maîtresse, la troublante Maddalena, incarnée par l’actrice Anouk Aimée. Femme mondaine et oisive, Maddalema appartient à la haute société romaine. Désabusée, elle traîne son spleen dans les soirées huppées de la capitale. Le couple qu’ils forment est uni en premier lieu par leur commune navigation dans les eaux fangeuses du gratin mondain. En effet, Marcello, « journaliste people » avant l’heure suit les moindres faits et gestes des personnalités en vues et erre à la recherche d’un scoop dans la Rome noctambule.

Mais ce qui rapproche avant tout les deux personnages est la crise existentielle qu’ils traversent tous deux. Ils se complaisent dans une vie artificielle car ils sont trop velléitaires pour passer à autre chose. La « douce vie », matérialisation du divertissement pascalien les tient prisonniers. Pourtant, à un moment du film, une lueur d’espoir s’allume. Dans les souterrains du château d’une vieille famille aristocratique décadente, Maddalena déclare son amour à Marcello. Ce dernier y voit aussitôt la possibilité d’une rédemption. « Ton désespoir me donne des forces, tu serais la compagne idéale pour tout partager ». Mais Maddalena a déjà fait volte- face et s’offre à un autre homme pendant que Marcello seul dans l’obscurité du souterrain réitère ses appels. Pusillanime  et ambivalente Maddalena ratifie sa face sombre ; la rédemption par l’amour n’aura pas lieu. imagesrwvl8txs

Aux antipodes de Maddalena, la jeune serveuse rencontrée par le journaliste dans l’auberge incarne l’innocence. Dénuée de vanité, la très jeune femme, fraîche et jolie touche Marcello par sa retenue et sa pureté. Mais c’est dans la toute dernière scène du film que ce personnage va révéler toutes ses potentialités. Marcello ivre débarque sur une plage avec toute une bande de fêtards. Là il assiste indifférent au concert d’exclamations qui entourent la découverte d’un étrange poisson pris dans le filet de pêcheurs. Un gros plan sur l’œil du poisson, suivi d’un plan large sur le petit groupe font germer une interrogation dans l’esprit du spectateur. Est-ce l’œil de Dieu qui juge la superficialité et la misère humaine? Soudain, une voix se fait entendre, c’est la jeune fille de l’auberge qui de l’autre bout de la plage  interpelle Marcello et tente de se faire reconnaître de lui. Marcello engourdi par l’alcool ne la reconnaîtra pas et quitte la plage hagard. La jeune fille lui adresse alors un sourire amical. Les yeux rieurs, elle le regarde s’éloigner puis finit par planter, via un regard caméra, ses yeux dans les yeux du spectateur. Encore un rendez-vous manqué pour Marcello, le rendez-vous ultime, avec la spiritualité. Mais Dieu n’est pas ici un critique sévère, mais prend la forme de la douceur et de la bienveillance féminine. Il ne prend pas ombrage de la faiblesse humaine. On comprend, en voyant la jeune fille vêtue de noire, regarder s’éloigner Marcello en costume blanc, que celui-ci, malgré le marasme de sa vie, conserve toute son innocence.