Cela fera bientôt 10 ans que Dieudonné déchaîne les passions et s’attire les foudres de la presse. L’affaire est bien connue, tout est parti d’un sketch dans lequel l’humoriste se moque d’un colon israélien. Depuis, la grande question qui agite les esprits est la suivante : Dieudonné est-il antisémite ou simplement provocateur ? Mon but dans cet article n’est pas tant de donner une réponse que de réfléchir à partir des oppositions entre pro et anti-Dieudonné. Avouons-le franchement, je ne suis pas particulièrement réceptif à l’humour de Dieudonné, ni d’ailleurs à celui de l’immense majorité des comiques du moment. Ceci étant dit, je tiens à préciser que je n’ai pas la télévision, je n’ai donc pas suivi les rebondissements télévisuels de l’affaire. Ce qui m’a davantage interpellé dans cette histoire, ce sont les prises de positions très divergentes de mes amis et connaissances d’extrême gauche sur le sujet : pour les uns, Dieudonné est un facho, pour les autres, un anar.
Je me suis mis donc à enquêter pour tenter d’accéder à une plus grande objectivité en visionnant et en lisant une bonne partie de ce qui est consacré à cette affaire sur le net. Mes conclusions sont les suivantes : jusqu’en 2005, Dieudonné est la victime de groupuscules juifs intolérants qui cherchent à faire annuler ses spectacles, il est aussi stigmatisé par la presse imbécile et moutonnière qui lui tire dessus à boulets rouges en alimentant la confusion entre antisionisme et antisémitisme. Mais à partir de 2005, Dieudonné s’affiche avec Jean-Marie Le Pen, Alain Soral et invite même Faurisson, l’historien révisionniste, à monter sur scène lors d’un spectacle en 2008. Dieudonné entretient lui-même la confusion dont il est victime en jouant un jeu pervers avec l’extrême droite. Finalement, peu importe qu’il soit réellement raciste ; en se compromettant avec des personnalités peu recommandables, il bascule dans le n’importe quoi.
Alors pourquoi est-il encore soutenu ? Certains de mes amis militants de gauche voient en lui un défenseur efficace de la cause palestinienne et une figure subversive de premier plan. Mais c’est peut être justement parce qu’ils sont militants que le bât blesse, on ne peut pas être militant et garder son esprit critique. Quand on est militant, on cherche des personnalités à admirer, des « porte-symboles » dans lesquels on projette un peu de soi. Pourtant, comment ne pas voir que Dieudonné patauge dans une boue visuelle et sonore qui trouble par avance tout sens possible ? Dieudonné cherche à faire le buzz en permanence en orchestrant, excusez-moi pour le néologisme, des « one man fashow » dont se délecte bien évidemment la presse. Cette dernière, au début par ses attaques non fondées, a très certainement fragilisé Dieudonné. Il a peut-être alors, par faiblesse, pactisé avec des crétins. Peu importe, dans tous les cas, il s’est enfoncé dans les eaux fangeuses du simulacre, entraînant avec lui une partie de ses fans. On ne peut pas se contenter de fantasmer sur certains aspects d’une personnalité. Pour se prononcer, il faut analyser la situation dans sa globalité, prendre en compte les interactions de tous les acteurs, et savoir quand changer de focale.