Avant-hier, au musée d’Art moderne de Paris, j’ai pu savourer l’exposition intitulée The political line consacrée à Keith Haring. J’aimerais dans cet article développer un point qui m’a particulièrement intéressé dans le travail de l’artiste.
Keith Haring, qui a étudié la sémiotique à la School of Visual Arts de New York, utilise de nombreux signes et symboles pour exprimer sa critique de l’aliénation politique et économique. Ce qui m’a interpellé, c’est qu’il a parfois recours à un langage iconique qui rappelle dans une certaine mesure les peintures du 15ème siècle représentant le diable. A partir de la fin du 14ème et tout au long du 15ème siècle, la figure de Satan prend une ampleur considérable dans l’imaginaire des sociétés européennes. De nombreuses peintures, illustrations et fresques comme Les très riches heures du duc de Berry des frères Limbourg ou les fresques de Taddeo di Bartolo, insistent sur la taille imposante de Satan qui règne en maître sur l’enfer et ses hôtes suppliciés.
Pour dénoncer L’Etat ou la machine économique qui aliènent les individus, Keith Haring a parfois recours à la symbolique infernale. Personnages imposants qui ressemblent à Satan, monstres proches du dragon, singes géants et loups se dressent en maîtres devant les petits personnages stylisés de l’artiste qui sont piétinés ou avalés par des gueules difformes. On peut voir aussi les influences iconographiques de l’artiste dans d’autres thématiques. Dans une de ses œuvres ayant pour thème le sida, on est frappé de voir les similitudes avec les mondes hallucinés grouillant de grylles et de créatures grotesques de Jérome Bosch.
Pour l’historien Robert Muchembled, l’iconographie du diable et de l’enfer avait pour ambition de frapper l’imagination des foules en manifestant la puissance du châtiment divin, mais permettait aussi d’asseoir le pouvoir de l’Etat. Dans Une histoire du diable, il précise que « le discours sur Satan change de dimension au moment même où s’esquissent des théories nouvelles sur la souveraineté politique centralisée devant lesquelles cède lentement l’univers des relations féodales et vassaliques ». Au 14ème siècle, les représentations surnaturelles auxquelles on croit ont donc valeur de signe. Elles sont les signes des nouvelles puissances politiques qui se mettent en place. A contrario, chez Keith Haring, cette symbolique est utilisée comme métaphore et dénonce l’existence des pouvoirs. On est passé du signe comme marqueur de pouvoir à la métaphore comme subversion, comme procédé de libération.
Keith Haring. The political line. Exposition au Musée d’Art moderne de Paris et au CENT QUATRE, du 19 avril au 18 août 2013.