Archives par étiquette : TV Buddha

Quand l’art nous fait penser

Nam June Paik : TV BuddhaL’art conceptuel est souvent décevant, mais heureusement il y a des exceptions. L’installation TV Buddha réalisée en 1974 par l’artiste sud coréen Nam June Paik en fait partie. Cette installation est composée de trois éléments : une statue en bronze de Bouddha, un moniteur et une caméra. Ce qui s’offre au regard du spectateur, c’est la statue filmée faisant face à son image. Qu’est–ce qui peut donc bien retenir l’attention dans une telle mise en scène ?  Ce qui frappe immédiatement la conscience, c’est la contradiction qui émane de cet agencement. En effet, la statue de Bouddha qui évoque possibilité de détachement et de libération, est prise dans un dispositif  visuel à circuit fermé. Le moniteur n’étant pas un écran qui donne sur un extérieur, il ne peut que restituer les données de la caméra qui se trouve derrière lui. Cette dynamique contradictoire est la matrice de plusieurs interprétations possibles sur le sens de l’œuvre. On peut y voir une critique du bouddhisme qui pense que l’on peut se dessaisir de son moi et échapper à l’illusion du réel. Mais on peut aussi être tenté de voir dans l’œuvre une dénonciation du pouvoir de l’image sur les consciences, l’illusion étant cette fois le fruit de la technologie.

Toutefois, ce qui est réellement intéressant dans l’œuvre, ce n’est pas la recherche d’un sens précis ou d’une vérité, mais le fait que l’installation oblige l’entendement à un effort infini d’explication. La contradiction que perçoit le spectateur, selon la formule de Kant « donne à penser ». C’est cet agencement problématique qui, en frappant l’imagination, révèle le travail de Nam June Paik comme artistique.  Il y a médiation par le sensible, un sensible dynamique qui joue comme possibilité de sens, mais ne l’épuise pas. On est donc bien loin des présentations souvent  absconses  de l’art conceptuel aveuglées par la pure idée. Ce n’est pas que l’Art soit étranger au monde des idées, mais il les donne à sa manière. Comme le dit Deleuze, « le métier de philosophe, c’est de faire des concepts, le métier d’artiste, c’est de faire des percepts ». Autrement dit, les artistes conceptuels qui cherchent à substituer le concept à la sensation manquent la philosophie tout comme ils manquent l’art. Mais interpellez-les sur cette question, ils diront que c’était volontaire…