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Magiquement nul

magic magic afficheIl faut bien avouer qu’une partie non négligeable de la production cinématographique dite non commerciale est médiocre et inconsistante.  Le feeling est donc un atout précieux pour éviter les mauvaises rencontres. Mais quelquefois, on se retrouve piégé devant un  film nul et on ronge son frein devant l’écran de l’ennui. C’est ce qui m’est arrivé hier soir au Caméo, le cinéma d’art et essai de Metz. J’étais parti pour regarder Electrik Children, malheureusement celui-ci n’étant plus à l’affiche, je me suis rabattu sur un film chilien intitulé Magic Magic.

Vide, voilà le qualificatif adéquat pour décrire ce film. Dans ce cas, pourquoi y consacrer un article ? Comme je l’ai mentionné plus haut, les mauvais films d’auteur sont légion et celui-ci n’étant pas pire que d’autres, ce qui motive ma démarche d’écriture est à chercher ailleurs.

Mais commençons par résumer brièvement : Alicia, une adolescente américaine, rend visite à sa cousine en Argentine. Peu à l’aise avec les amis de cette dernière, la jeune fille sombre peu à peu dans la folie. Premier constat, le film est totalement dénué de style cinématographique et il n’y a aucun travail de la caméra, donc aucune esthétique. Le film est formellement inexistant. L’histoire quant à elle est complètement creuse et le réalisateur conclut sur une non-fin.  Autres remarques, il n’y a pas de densité psychologique et le film ne contient aucun indice pour envisager une lecture symbolique, politique ou sociétale. Le thème de la folie est gratuit, on est au plus loin d’une œuvre comme  Une femme sous influence de John Cassavetes, qui témoigne des rapports complexes et réciproques entre folie et normalité.

Le réalisateur Sebastián Silva a-t-il voulu faire un film où rien ne se passe pour alimenter la glose et l’interprétation  chez le spectateur ? Cette stratégie, très employée dans l’art conceptuel  pour masquer le néant de certaines productions, n’a pas cours ici. Le côté vain et superficiel ne relève pas d’une intention et d’un travail de filou, le film est tout simplement vide mais il n’y a aucun signe d’une volonté visant le vide intentionnellement. « Toute la duplicité de l’art contemporain est là : revendiquer la nullité, l’insignifiance, le non-sens alors qu’on est déjà insignifiant. Prétendre à la superficialité en des termes superficiels », écrivait Baudrillard dans Le complot de l’art. Ce qui est inquiétant avec ce navet et certainement avec beaucoup d’autres, est que leurs réalisateurs ne ressentent plus l’envie de jouer, même faussement, la carte de l’art. Au manque de talent s’est substitué le manque d’ambition. Finalement, le plus grand défaut du film repose sur son incapacité à se saisir comme un film et donc à être jugé comme tel.

Pensée en acte

Hannah Arendt, la pensée en acte

Hannah Arendt est une philosophe connue, mais pour ceux qui n’auraient jamais entendu parler d’elle, le film de Margarethe Von Trotta leur permettra de combler cette lacune. Le titre du film, Hannah Arendt, pourrait laisser penser que la réalisatrice a cherché à s’intéresser à la vie de la philosophe. Il n’en est rien, c’est un épisode bien précis dans la vie intellectuelle de Hannah Arendt qui retient l’attention de Margarethe von Trotta.

En 1960, la philosophe couvre le procès du criminel de guerre nazi Adolf Eichmann à Jérusalem pour le compte du New Yorker. Les analyses de l’auteur et le livre qui en découlera provoqueront la polémique. Hannah Arendt décrira Eichmann non comme un être maléfique mais comme un fonctionnaire tristement zélé et dénué de perversité. À son sujet, Hannah Arendt parlera de « banalité du mal » : c’est parce que les hommes ont renoncé à penser que le pire a pu se produire. L’holocauste est le résultat de la collaboration zélée de tous les membres d’une bureaucratie et non d’une volonté mauvaise tapie dans les consciences. Cette nouvelle définition du mal comme banalité se révèle tout aussi effrayante que la définition classique d’inspiration théologique.

Mais l’analyse rationnelle d’Arendt se heurte au traumatisme psychologique des communautés juives meurtries par la Shoah. On ne lui pardonne surtout pas d’avoir écrit que les chefs des communautés juives avaient parfois collaboré indirectement et contribué de ce fait au processus d’extermination.

Le film a plusieurs mérites. Premièrement, il montre une pensée en train de s’élaborer, une analyse conceptuelle en train de s’effectuer ; deuxièmement, il rappelle que les philosophes soucieux avant tout de la vérité s’émancipent de toutes les tutelles qu’elles soient symboliques ou sociales. Pour Hannah Arendt, ce qui importe c’est de comprendre le mécanisme de la Shoah de la manière la plus rationnelle possible. Or, la raison des philosophes rencontre souvent l’incompréhension du commun des mortels pour qui la philosophie doit se couler dans le discours attendu. Arendt en philosophe digne de ce nom résiste au chantage de l’affect et conserve jusqu’au bout son attitude réflexive. Enfin, d’un point de vue formel, on apprécie dans le film le travail de certains plans et l’utilisation habile des effets de lumière qui soulignent la solitude de la philosophe.

 

Hannah Arendt, un film de Margarethe Von Trotta sorti le 24 avril 2013.