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Esthétique vidéoludique

manoir resident evilLes années 90 n’ont pas été très propices pour le cinéma d’épouvante, on peut même dire que la veine des films de genre s’est tarie durant cette décennie. L’horreur a basculé dans le champ de la réalité en déversant sur les écrans des personnages n’appartenant pas au registre fantastique mais au monde des psychopathes faits de chair et de sang. Misery, Le silence des agneaux ou encore Seven sont les titres phares des thrillers de l’époque. Délaissée par le cinéma, l’esthétique de l’étrange allait se trouver un nouvel amant en la personne du jeu vidéo avec notamment le génial Resident Evil. Titre phare de la console de l’époque de Sony, la playstation, ce jeu de 1996 plonge les joueurs dans un monde de cauchemar en trois dimensions. Le scénario est assez simple : des rescapés d’une équipe d’intervention de la police tentent de survivre dans un manoir étrange peuplé de zombies et de créatures assoiffées de sang et de percer le mystère des transformations effroyables des habitants du manoir.

Ce qui fait l’intérêt du jeu est le savant mélange entre le gore des situations et l’esthétique baroque du manoir. Celui-ci est en effet très personnalisé, chaque pièce a une âme, les objets insolites répondent aux tapisseries défraîchies, les couloirs recouverts de tableaux  mystérieux  donnent sur de petits salons cossus ou sur de vastes pièces où trônent d’énigmatiques statues. Selon les endroits, différentes musiques se font entendre, lancinantes et inquiétantes, elles contribuent à rendre vivant le manoir. Dans les films d’horreur de Lucio Fulci, les musiques composées par Fabio Frizzi  s’accordent parfaitement avec les plans, il en est de même avec Resident Evil où les musiques se fondent dans les décors.

J’ai lu quelque part sur internet que le manoir était le véritable acteur du jeu ; c’est exactement cela, ce jeu d’action se coule dans un monde qui existe pour lui-même. Les énigmes et l’atmosphère des lieux redoublent l’histoire initiale en suggérant la possibilité d’un monde inconnu. La forme, au service de l’intrigue somme toute très prosaïque puisqu’il s’agit au final dans l’histoire de contamination virale, se fait fond.  Pour Louis Vax, le fantastique repose sur « une promesse », une promesse  non tenue, car le fantastique est une forme vide (cf article Louis Vax). J’ajouterai pour ma part que ce qui est exprimé relève du puissant artifice de l’exprimant. Ce jeu très abouti a été récupéré par le cinéma, qui aujourd’hui dénué de tout esprit créatif recycle tout ce qu’il peut. Malheureusement, les adaptations cinématographiques de Resident Evil s’inscrivent dans l’esthétique bas de gamme des films de zombies mainstream. Ce ne sont plus des films d’horreur, mais des horreurs de films.

Les fantômes et le philosophe

Louis Vax : La séduction de l'étrange, littérature fantastique et philosophie

Pourquoi vouloir définir le fantastique au lieu de tout simplement en jouir ? La réponse est simple : c’est le propre de la théorie littéraire de chercher à rendre compte avec précision de la réalité d’un courant ou d’un mouvement esthétique. En France, parmi tous les auteurs qui se sont attelés à cette tâche, Louis Vax a particulièrement retenu mon attention et cela pour plusieurs raisons. En premier lieu, Vax n’est ni linguiste ni professeur de lettres, il est professeur de philosophie. Et c’est en philosophe qu’il affronte le problème. En second lieu, il est intéressant de noter que Vax est l’un des seuls à lier goût pour le fantastique et analyse. Dans son essai, La séduction de l’étrange, il ne procède pas de manière « scientifique » en construisant un discours distancié par rapport à son objet d’étude. C’est cette attitude qui va donner toute son originalité à sa définition du fantastique et qui va permettre de sauver ce dernier des analyses asséchées que l’on tient sur lui.

Louis Vax prend en compte le sentiment esthétique éprouvé par le lecteur. Le goût du fantastique se décline en sentiment de l’étrange, mais ce sentiment n’est pas l’expression d’une croyance en une surnature, il est vécu pour lui-même.  Pour rendre compte de la spécificité du sentiment esthétique propre au fantastique, Louis Vax s’appuie sur la fameuse phrase de madame du Deffand : « Je ne crois pas aux fantômes, mais j’en ai peur ». Ce qui est intéressant dans la position de Vax, c’est que le fantastique, via la subjectivité du lecteur, est réel et conquiert une autonomie esthétique, mais en même temps il est sans fond.  En effet pour Vax, « il n’y a pas plus de fantastique en soi derrière les contes qu’il n’y a l’homme en soi derrière les hommes de chair et de sang. Car le propre du fantastique, comme de l’homme, ce n’est pas de dissimuler une essence […] le fantastique renaît tout entier et tout neuf dans chaque récit nouveau. » C’est cette volonté de concilier sentiment esthétique et refus de l’objectivation d’un genre dans des catégories qui fait de la pensée de Vax une pensée originale.

Louis Vax se situe aux antipodes des auteurs qui veulent fixer la nature du fantastique dans un moment historique précis, qui cherchent à en préciser les frontières et à le considérer comme une simple approche du réel.  Parmi eux, on peut citer Joël Malrieu, auteur d’un ouvrage intitulé Le fantastique. Pour Malrieu, la littérature fantastique est l’expression d’un malaise et d’une tentative de questionnement des hommes du 19ème siècle sur une société en pleine transformation.   «  C’est que les fantômes ou les vampires constituaient des images, des métaphores, ou plus souvent encore un moyen commode d’exprimer une réalité profonde, mais qui n’avait rien à voir avec le surnaturel. »  Le point de vue de Malrieu fait fi du sentiment de l’étrange, seul compte pour lui l’écriture fantastique définie comme signe vers, comme possibilité d’un questionnement. En fait, c’est un fantastique entendu à la seconde puissance qui retient l’attention de l’auteur. Mais on ne voit pas comment ce sens second pourrait trouver à s’exprimer sans la littéralité du sens premier. Malrieu rejoint Vax sur la question du surnaturel, mais on ne comprend pas comment les figures fantastiques qu’il décrit peuvent devenir métaphoriques si elles sont niées dans leur matérialité et en tant que motifs fantastiques.

Pour terminer on pourrait faire la remarque suivante : Malrieu est tellement obnubilé par son désir de rationaliser le fantastique qu’il pose comme « paradoxe » ce que Vax tient pour l’expression du fantastique. En forçant le trait, on pourrait dire que Malrieu est un hégélien qui s’ignore, pour qui « le réel est rationnel » et qui ne voit pas que la déclaration « je ne crois pas aux fantômes mais j’en ai peur » ne contient aucun paradoxe si l’on admet  que les deux segments de la phrase appartiennent à deux registres de vérité : a) Il est vrai que ma peur est réelle. b) Il est vrai que je ne crois pas aux fantômes. La croyance en une rationalité toute puissante peut s’avérer beaucoup plus dangereuse qu’une jouissance esthétique dépourvue de culpabilité…