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Numérique plein, regard vide

poème numérique atomium bruxelles exposition temporaireBaudrillard a consacré beaucoup de ses essais à la question de la disparition du réel et à la montée en puissance du simulacre. Selon lui, ce que nous appelons le réel s’est dilué dans la simulation. Ce que nous prenons pour le réel n’est que simulacre. Comme le dit Baudrillard : « La carte précède le territoire ». Ce dont nous faisons l’expérience (lieux, informations)  se réduit à des images qui ont pris la place du réel en l’évacuant. Cette disparition du réel ne consiste pas uniquement dans  l’annulation de la référence mais se traduit également par  l’expérience que les sujets en font.

C’est en visitant l’Atomium à Bruxelles il y a quelques jours que ce dernier point m’a frappé. L’Atomium intrigue de l’extérieur mais se révèle assez  décevant, car il n’y a rien d’intéressant  à voir une fois à l’intérieur.  Rien d’intéressant sauf peut être une installation composée d’une géode lumineuse et d’effets sonores qui suggèrent une esthétique futuriste. Cette installation qui fait le lien entre la structure de l’Atomium et l’espace sidéral vécu de manière onirique invite le visiteur à l’expérimentation. Et pourtant, le public dans sa grande majorité, se contente de mitrailler numériquement  au lieu de vivre une expérience esthétique.

Par delà l’aberration à vouloir fixer ce qui relève du mouvement et du sensoriel (jeux de lumières, illusions  dimensionnelles, etc.), force est de constater que ce qui anime les visiteurs, est le désir de s’approprier ce qu’ils sont en train de voir. On ne peut même pas dire qu’ils consomment ce qu’ils sont en train de regarder puisque l’acte même de photographier dénature l’expérience. Pour la plupart de ces gens, ce qui importe, c’est l’image de la chose. Cette image qui témoigne aussi de leur existence, ils la diffuseront sur des réseaux sociaux ; elle aura ainsi valeur de signe, non pas signe du réel, mais signe de leur présence à eux.

Ils auront manqué le réel tout comme David Locke, le personnage principal  du film d’Antonioni  Profession reporter, qui s’avère incapable d’agir sur un réel qui s’effectue sous les yeux aveugles de tous. Le réel est manqué et l’évènement qui produit les drames et les changements prend toujours à revers les mauvais acteurs que nous sommes.  Ce qui est drôle, c’est que j’ai vu le film à la cinémathèque de Bruxelles la veille d’aller à l’Atomium. Je ne pouvais donc que faire un rapprochement, mais aussi mesurer l’éloignement entre un public de cinéphiles au regard aigu et des hordes en short au regard hébété.

 

Poème numérique, exposition temporaire à l’Atomium de Bruxelles, du 18 juin au 22 septembre 2013.