Les bons films d’horreur sont aujourd’hui une denrée rare (les bons films tout court aussi), c’est pourquoi je ne résiste pas au plaisir de vous présenter une petite analyse de Mister Babadook, que je suis allé voir au ciné hier soir. Ce qui me permet par la même occasion de redonner quelques couleurs à mon blog en sommeil depuis quelques mois. Mais trêve de bavardages, entrons dans le vif du sujet. Mister Babadook est le premier long métrage de la réalisatrice australienne Jennifer Kent. De prime abord, le scénario ne brille pas par son originalité en nous proposant de suivre la descente aux enfers d’une femme apathique qui élève seule son fils perturbé. Progressivement, les attaques d’un personnage, Mister Babadook, tiré d’un livre de conte inquiétant pour enfants, vont plonger les protagonistes dans les affres de la terreur.
Attention, le paragraphe suivant révèle des éléments concernant la fin du film !
Si le film s’inscrit dans le dialogue fantastique/folie propre à toute une tradition de la littérature de l’étrange, son intérêt ne repose pas sur l’ambigüité propre à celle de nouvelles fantastiques comme Le Horla de Maupassant par exemple. Il ne s’agit pas ici pour le spectateur de trancher entre deux interprétations indécidables. La fatigue psychique de la mère (Amélia) est montrée dès les premières scènes. Hagarde et repliée sur elle-même, elle peine à endiguer les crises d’instabilité de son fils en proie à une imagination maladive. La fragilité mentale est souvent la porte d’accès pour les entités surnaturelles dans le genre fantastique, le chaos intérieur est comme une balise pour les forces mauvaises du monde invisible. Dans Session 9, film d’épouvante abouti de Brad Anderson sorti en 2001, Gordon Fleming, personnage qui traverse une crise familiale, est aussi le plus vulnérable aux influences démoniaques de l’asile qu’il est en train de désamianter avec les membres de son entreprise. Dans Mister Babadook le schéma s’inverse, c’est le fantastique qui alimente le chaos psychique et on le comprend de manière certaine dans l’une des toutes dernières scènes où l’on voit Amélia nourrir la créature désormais recluse dans la cave. Amélia a réussi à endiguer sa folie et a littéralement repoussé ses démons intérieurs au plus profond de son psychisme. Mister Babadook symbolise son traumatisme toujours présent, mais désormais supportable. Dans un court métrage réalisé en 2005 et intitulé Monster, Jennifer Kent avait déjà exposé la même idée en montrant une femme chassant un monstre de sa chambre.
Par ailleurs, toute l’esthétique de Mister Babadook tend vers ce parti-pris métaphorique. La profondeur de champ de certains plans à l’intérieur de la maison et les nombreux plans fixes éliminent l’idée d’une créature qui épie les deux personnages. La réalisatrice ne joue pas sur le hors-champ, car ce qui est menaçant se situe au cœur du champ, la maison fonctionne comme une représentation du psychisme malade d’Amélia, tout comme la maison Usher chez Edgard Poe qui condense les fantasmes de Roderick Usher. On peut encore noter l’emploi d’ellipses, avec ces plans d’arbres lugubres devant la maison qui enferment le film dans une temporalité suspendue, ainsi que l’emploi judicieux d’une lumière froide et blafarde qui baigne toutes les scènes et renforce le climat mortifère. Mister Babadook est réussi parce qu’il offre tous les délices d’un dessert à deux couches en nous proposant une dialectique subtile entre réel et irréel.