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Sacré, attention danger !

lahireBernard Lahire compte parmi les plus grands sociologues contemporains. Son travail permet de saisir les transformations sociales actuelles tout en ne cédant pas aux facilités d’une sociologie qui flirte d’un peu trop près avec les approches cognitivistes et la prétendue liberté des agents. Il a su prendre ses distances avec les analyses déterministes quelque peu rigides de Pierre Bourdieu, en rendant compte de la complexité et de la pluralité des déterminismes qui nous régissent. Il emprunte une partie de ses concepts et de ses outils d’analyse à la pensée philosophique (Foucault, Deleuze ou encore Wittgenstein) et il est le premier à construire de manière rigoureuse les fondements d’une « sociologie psychologique », où le chercheur fait varier ses échelles d’observation en fonction de l’objet étudié. L’étude qu’il a consacrée à Kafka (Franz Kafka. Eléments pour une théorie de la création littéraire) illustre cette volonté d’étudier le social à l’état plié.

 
Dans son dernier ouvrage (Ceci n’est pas qu’un tableau. Essai sur l’art, la domination, la magie et le sacré), il interroge en profondeur les notions de profane et de sacré en montrant comment ces concepts s’articulent autour de la domination. Un tableau n’est pas un objet ordinaire, mais s’inscrit dans un processus de sacralisation qui prend ses racines dans une dichotomie entre ce qui est noble et ce qui ne l’est pas, et dans la division entre ce qui constitue l’espace des dominants et le monde trivial des dominés. Ce qui fait l’intérêt des recherches de Lahire repose sur le caractère transdisciplinaire de ses travaux ; l’auteur ne joue pas le jeu réduit de l’hyper-spécialisation mais utilise l’histoire, l’anthropologie ou encore la philosophie pour faire apparaître la réalité de la domination.

 
Bernard Lahire, tout au long de son imposant essai, s’efforce de rendre visible ce qui ne l’est pas. Les mondes de l’art et de la culture sont traversés par la magie sociale. En menant une enquête sociologique très approfondie sur les luttes entre experts autour de l’authentification d’une toile de Nicolas Poussin, il met à jour les ressorts historiques de la domination sous ses formes politique, théologique ou culturelle. Ce n’est pas que par ses qualités intrinsèques qu’une œuvre parvient à la notoriété, mais par la part de fascination que suscite tout objet sacralisé. Bernard Lahire rappelle que « les théories esthétiques qui font de l’art un objet autonome sont historiquement liées aux institutions qui comme les musées ou les salles de concert, engendrent une division entre l’art et la vie, entre le sacré et le profane ». Il caractérise plus profondément cette division entre sacré et profane en soulignant que « les fictions théologiques n’étaient elles–mêmes, dès le départ que des transpositions de réalités politiques, des réalités de pouvoir transfigurées ». Le sacré n’est qu’une réalité instituée, ce sont les formes humaines du pouvoir (peut-on sérieusement en envisager d’autres !) qui servent de modèles pour penser l’espace sacré. « C’est Dieu qui est à l’image du pouvoir temporel et non l’inverse ».

 
Ces propos sont à rapprocher de ceux de l’historien Robert Muchembled, qui insiste dans son essai Une histoire du diable sur les similitudes entre l’iconographie du démon et le pouvoir royal : « Nul contemporain ne semble avoir remarqué la concordance entre deux sphères si diamétralement opposées par définition. Pourtant les fantasmes diaboliques étaient produits par les mêmes artistes qui mettaient en exergue la souveraineté royale ». « Ces images [iconographie démoniaque du 15ème siècle] véhiculent une vision hiérarchique du monde infernal calquée sur celle de la souveraineté royale ».

 
Si les théories esthétiques, comme l’affirme Lahire, opèrent une scission entre l’art et la vie, est-on condamné à ne reconnaître comme beau et digne d’intérêt que ce que la race arrogante de nos maîtres désigne comme tel ? Doit-on communier avec les prêtres de l’art dans l’orthodoxie du beau ? La lecture d’un autre essai que je viens de terminer nous ouvre des perspectives de libération. Dans son dernier ouvrage (La valeur d’un film. Philosophie du beau au cinéma), le philosophe Eric Dufour défend une conception sociale et politique du cinéma fondée sur les usages que l’on en fait. Si un film, même le plus populaire, impacte mon existence en ouvrant des formes de vie possibles (éthiques, politiques ou encore existentielles), alors il devient tout aussi légitime que n’importe quel film appartenant à la grande tradition culturelle. Comme s’il répondait par avance à une critique possible (celle des contempteurs obsessionnels du relativisme), Dufour pose la question suivante : « Qui veut à tout prix trouver des normes universelles, qui prétend à cet universel et à une hiérarchisation des films ? » Pour Eric Dufour, la réponse est bien évidement à chercher du côté des tenants des conceptions élitistes du cinéma. La conclusion de Dufour est sans appel : « C’est une forme de violence, et à notre sens la violence la pire, parce qu’elle se dissimule sous l’apparence du logos ». On est ici au plus près de la conception du sacré, matrice de domination chez Lahire.

 

Les zombies (6) : par-delà l’interprétation

Je viens de terminer la lecture de deux essais sur les zombies qui tranchent avec la médiocrité des ouvrages consacrés jusqu’à présent au sujet (cf. articles zombies 1 et 2). Les deux auteurs ont le mérite de se focaliser sur le zombie comme être filmique et non comme phénomène de mode. Le zombie, comme j’ai essayé de le montrer moi-même (cf. articles zombies 4 et 5), s’appréhende en effet dans  l’image, il n’est qu’un être pour l’image. C’est une  figure singulière qui mute de film en film, c’est un concept toujours en devenir. En cela, il faut sans doute être nominaliste et renoncer à parler de l’essence du mort-vivant.

Ceci étant dit, revenons à nos auteurs : Amélie Pépin a intitulé son essai Zombie Le mort-vivant autopsié.  Sur 123 pages, dans un style clair, elle s’applique à faire ressortir, entre autres, le motif religieux à l’œuvre dans les films de zombies. Elle analyse trois longs métrages : White Zombie de Victor Halperin, Dawn of the Dead, de George Romero (auquel j’ai consacré un article cf. article zombies 5) et 28 Days Later de Danny Boyle. Pour aller vite, on pourrait dire que les figures des morts-vivants dans ces trois films correspondent respectivement  à l’image classique, moderne et postmoderne du zombie. Essentiellement descriptive, l’analyse de l’auteur s’attache à faire émerger la thématique maintes fois développée de la critique de l’individualisme et de la société de consommation dans les films du genre (en particulier chez Romero). De ce point de vue, elle n’est guère novatrice, mais l’intérêt de son livre ne vient pas de cette analyse banale et somme toute assez superficielle, mais de la manière dont elle l’a conduite et justifiée. De manière fine, elle fait apparaître les jeux de renvois entre films et motifs  bibliques (genèse et apocalypse). Son plus grand mérite, il me semble, est d’avoir donné de l’épaisseur au film de Danny Boyle qui est une œuvre beaucoup plus commerciale que Dawn of the Dead de Romero. Au final, c’est dans une direction morale que l’auteur entraîne ses lecteurs en choisissant pour cela la voie de l’herméneutique. Mais l’interprétation, aussi stimulante soit elle, a pour défaut de manquer ce qui fait la spécificité conceptuelle du zombie, son modus operandi. Le zombie n’est pas soluble dans la métaphore (cf. article zombies 3).

Sensible à ce problème, Joachim Daniel Dupuis, dont l’essai s’intitule George A. Romero et les zombies Autopsie d’un mort vivant (il n’y a pas dû avoir concertation entre les deux auteurs !) propose une analyse non interprétative du zombie (il n’est pas le premier à en avoir eu l’idée cf. articles zombies 3 et 4). Le livre de Joachim Dupuis est ambitieux : il cherche à montrer en quoi le zombie romérien est une figure qui « court-circuite » les dispositifs de pouvoir en action dans le corps social. Le cinéma de George Romero s’articule ici à la pensée de Michel Foucault et est présenté comme contre-effectuation à la normalisation des sujets. Les analyses de l’auteur sont souvent pertinentes. Les commenter prendrait beaucoup de temps et m’éloignerait de ce qui m’a animé à la lecture de l’essai.

Deux idées ont particulièrement attiré mon attention. La première concerne l’utilisation du concept d’affect tel que Deleuze l’entend, même si le philosophe n’est pas cité par Joachim Dupuis : « Les morts ne sont pas une idée rendue concrète par un personnage. Les morts sont plus l’expression d’un affect que le spectateur éprouve autant que les personnages. Un affect n’est pas un simple sentiment, une simple affection qui aurait pour cause un sens anthropologique (du type joie, bonheur). Il s’agit plutôt de forces qui agissent sur nous sans que nous sachions de quoi il retourne. Il y a un sentiment d’inéluctabilité, de nécessité. C’est une catastrophe. » De la même manière que, dans un tout autre genre, les meilleurs films de John Cassavetes permettent au spectateur réceptif de ressentir les flux et les forces à l’œuvre dans la vie, les films de Romero nous permettent d’expérimenter les flux du chaos. L’auteur a bien perçu que les zombies dont l’origine est inassignable et qui ne sont l’expression d’aucun signifié (cf. article zombies 4)  produisent un effet très particulier sur le spectateur. Ce dernier expérimente sans pouvoir rabattre ce qu’il ressent sur des coordonnées précises. Affect sans référent, qui déterritorialise pour parler comme Deleuze, ceux par qui il passe. Joachim Dupuis complète ici les analyses de Philippe Met pour qui le zombie est davantage « processuel » qu’ « allégorisable » (cf. article zombies 3).

Le deuxième point que j’aimerais évoquer concerne le  refus de l’auteur de considérer les zombies comme une masse : « [Les zombies] ce n’est pas non plus une « masse », car celle-ci n’inscrit pas de traces (Canetti). Or le mort-vivant porte en lui-même une trace des pouvoirs (ce que sont clairement les morts-vivants comme expression du pouvoir), les marques du pouvoir en les « brouillant » ». On comprend pourquoi l’auteur refuse le rapprochement que Pascal Couté opère entre les zombies et le concept de masse d’Elias Canetti (cf. article zombies 3).  Envisager les zombies comme une masse, c’est renoncer à les faire fonctionner comme coupures des flux de pouvoir. La masse croît sans cesse en absorbant les individus. En fait, la masse ne marque pas les corps et les âmes, elle les absorbe. En digérant et en assimilant individus et institutions, les zombies deviennent les signes de la dissolution de tout rapport social dont le pouvoir n’est qu’une des modalités, sur laquelle s’est à mon sens trop focalisé Joachim Dupuis (bien que ce soit là son but). Plus profondément, c’est la grammaire de la réalité elle-même qui est subvertie par les zombies romériens.  « Certaines propositions sont soustraites au doute, comme des gonds  sur lesquels tournent ces questions et doutes », énonce Wittgenstein dans De la certitude  à propos du langage. L’action des zombies  symbolise dans l’image la perte de ces propositions pivots à partir desquelles nous pouvons penser le pouvoir, la religion et toutes nos expériences sociales. C’est l’image même de la réalité à partir de laquelle nous pouvons donner sens au monde et que nous ne pouvons pas remettre en question (car  c’est à partir d’elle que nous pensons), qui s’effrite et disparaît sous la pression des morts.

L’impossible sortie du social

Season of the Witch de George RomeroLa pensée cinématographique, c’est-à-dire ce que le réalisateur cherche à exprimer par le biais du montage et des prises de vue, peut se décliner philosophiquement ou sociologiquement. Michelangelo Antonioni par exemple est un réalisateur qui déploie dans ses films un authentique questionnement philosophique (je développerai ce point dans un article ultérieur). George Romero aborde pour son compte dans ses films des problèmes d’ordre sociologique.

Sa réalisation la plus remarquable à cet égard, est Season of the Witch, un film de 1973. Dans ce film aux accents psychédéliques et expérimentaux, Romero s’intéresse à la question du féminisme à travers le personnage de Joan Mitchell, une femme au foyer issue de la petite bourgeoisie urbaine américaine. Délaissée par son mari, en proie à des conflits avec sa fille étudiante qui rejette les valeurs de son milieu, l’héroïne va se tourner vers le monde de la sorcellerie pour échapper à sa vie. Le film est une incursion dans la vie d’une femme qui vit mal son rôle confiné de mère au foyer vieillissante. Joan est tiraillée entre son  éducation bourgeoise d’une part  et son désir sexuel pour l’amant de sa fille d’autre part.  Ce dernier est un jeune professeur de sociologie qui  symbolise, sur les plans du désir et du discours, la génération libérée de la fin des années 60. On voit que Season of the Witch est un film très proche de Faces de John Cassavetes ; sur la forme, comme sur le fond, ils appartiennent tous deux au cinéma indépendant et se font l’écho des valeurs nouvelles qui pénètrent la société.

Ce qu’il y a d’original dans le film de Romero, c’est la thématique du fantastique qui innerve le film. Joan va chercher à évoquer des puissances surnaturelles dans le but de vivre une aventure sexuelle avec Greg Williamson (le jeune professeur de sociologie). Joan, qui a intériorisé avec force les codes sociaux de sa génération, a recours à ce qu’elle croit être de l’ordre de l’irrationnel pour briser tout ce qui dans son éducation l’inhibe sexuellement. Elle a recours sans le savoir, aux pouvoirs de l’auto-suggestion pour annihiler les tabous sexuels intériorisés qui agissent comme des interdits psychiques au niveau du surmoi. Ce qui me permet d’avancer cette hypothèse repose entre autre sur l’utilisation  du principe d’auto-suggestion par Greg dans une scène. On le voit proposer un faux joint de cannabis à une amie de Joan. Cette dernière qui ignore la supercherie va ressentir des effets comme si elle avait vraiment consommé une substance psychoactive.

Mais ce qui fait la très grande force du film repose sur la « thèse » principale défendue par le réalisateur : on ne se libère de quelque chose que par l’assujettissement à autre chose. Ce qui est remarquable dans ce film, est que cette idée est véhiculée par la seule narration par l’image. Romero nous  montre son point de vue par le biais de deux scènes symboliques. Dans la première, située au début du film, Joan rêve qu’elle est conduite en laisse par son mari pour être enfermée dans une cage. L’interprétation du rêve est claire, Joan souffre de sa condition de femme dominée et cela l’obsède. Dans la seconde scène, qui est aussi l’avant-dernière du film, Joan reçoit son initiation de sorcière. On peut voir la « prêtresse » de la confrérie lui passer une cordelette autour du cou pendant que l’héroïne promet fidélité à son nouvel ordre. Joan renaît à elle-même, mais elle troque une tutelle contre une autre. Elle s’émancipe du monde du pouvoir domestique pour la sphère du magico-social. Ce que Romero met en lumière est le fait que l’on ne quitte jamais le champ des coercitions sociales, la libération est toujours partielle, mais nous avons cependant, dans une certaine mesure, la possibilité de choisir ce qui nous lie. Liberté et assujettissement s’articulent ensemble. On est proche ici des thèses de Michel Foucault avec l’idée de renouvellement des pratiques d’assujettissement et celle de la liberté comme pratique de soi sur soi.

Foucault et la liberté

Michel Foucault, philosophe du pouvoir et de la libertéLes réflexions de Michel Foucault sur la prison, la psychiatrie, et sur la manière dont les individus sont constitués en sujets sont généralement bien connues. Foucault a en effet consacré une grande part de ses recherches à l’analyse des relations de pouvoir. Mais, dans ses derniers travaux, il s’est intéressé à la question de la liberté ou plus précisément aux « pratiques de liberté ». Cette partie du corpus foucaldien est moins connue et n’a pas toujours été bien comprise par ses lecteurs. Pourtant, les analyses sur la liberté de Michel Foucault renouvellent tout en la continuant la pensée de l’auteur et donnent des outils pour penser et mettre en pratique la liberté dans nos sociétés contemporaines.

Mais commençons par le commencement en nous demandant ce que Foucault entend par « pratiques de liberté ». Pratique s’oppose à théorie. Le philosophe ne s’intéresse pas aux concepts abstraits de liberté, il ne cherche pas à produire une définition de la liberté entendue comme travail d’une conscience transparente à elle-même. La liberté est pour Foucault de l’ordre du fait et est à l’œuvre dans le corps social. A quoi reconnaît-on cette liberté ? Pour Foucault, il suffit d’observer les relations de pouvoir à l’œuvre dans tout champ social pour apercevoir la liberté. Là où il y a relations de pouvoir il y a également liberté, car les relations de pouvoir ne trouvent à s’épanouir que dans un espace ouvert. Rappelons que Foucault distingue les rapports de pouvoir des rapports de domination ; là où il y a un espace possible de résistance, il y a liberté. Les pratiques de liberté définies par Foucault s’exercent contre les stratégies de pouvoir employées pour obtenir un effet sur la conduite d’autrui. On peut donc définir la liberté en termes de désir, de force ou encore de mouvement. La liberté est donnée comme une force originaire toujours présente et toujours contemporaine aux stratégies de pouvoir qui traversent les champs sociaux. C’est pourquoi, dans le texte Espace, savoir et pouvoir tiré d’un des recueils Dits et écrits, l’auteur peut affirmer de manière tautologique que « la garantie de la liberté est la liberté ». La liberté humaine comme donnée originaire sociale est garantie par un exercice pratique de la liberté.

Cet exercice pratique de la liberté va s’enrichir et revêtir sa forme définitive dans le texte L’éthique du souci de soi comme pratique de la liberté,  tiré de Dits et écrits. Foucault va articuler les notions de liberté et d’éthique et donner ainsi une forme originale et opératoire à la liberté. Dans la dernière partie de sa vie intellectuelle, Foucault a consacré sa réflexion au « souci de soi », il s’est intéressé à la façon dont les grecs anciens privilégiaient le rapport à soi sur le rapport à autrui. Pour Foucault, le souci de soi, le travail que l’on opère sur soi et sur ses désirs, sont des étapes indispensables pour exercer des rapports de commandement. Il faut s’auto-constituer comme sujet éthique avant toute chose. Et la latitude que l’on a pour se constituer comme sujet éthique dépend de la liberté. Pour l’auteur, « la liberté est la condition ontologique de l’éthique. Mais l’éthique est la forme réfléchie que prend la liberté ». Contrairement aux rapports posés par Kant entre la morale et la liberté, l’éthique décrite par Michel Foucault ne concerne pas la prise de conscience par un sujet d’un principe universel. L’éthique est l’ensemble d’exercices et de règles qu’un homme applique pour devenir maître de lui-même. Être libre, c’est pratiquer la liberté d’une manière précise, c’est façonner son ethos par des exercices et des enseignements qui nous constituent comme sujet.

A partir de ces éléments on peut établir plusieurs remarques. Premièrement, on voit que le problème de Foucault n’est pas de donner une conception pure de la liberté, mais que celle-ci participe à la fois du fait et de la production. Deuxièmement, on s’aperçoit que Michel Foucault articule pensée sociologique et pensée philosophique. Les analyses de Foucault s’effectuent dans l’immanence du champ social. On peut donc parler avec Bernard Lahire de « pensée sociologique de Michel Foucault ». Mais Foucault n’en reste pas là ; en liant liberté et éthique, il pense en philosophe. Et sa pensée est originale, car elle ne sacrifie pas aux interrogations classiques sur la liberté qui pataugent souvent dans les eaux troubles du libre arbitre et du déterminisme. Foucault nous délivre de la quête illusoire d’une liberté pure et nous donne à voir la liberté dans son efficience. Enfin, la problématisation de Foucault nous permet de nous doter d’outils pour penser notre présent et nous constituer comme sujets libres. On peut, par exemple, à partir des conceptions foucaldiennes, résister à l’injonction d’une prétendue  liberté de devenir nous-mêmes qui émane aujourd’hui du marketing et du monde de l’entreprise.  Et si la liberté résulte toujours d’un travail de soi sur soi à partir d’une pensée préexistante, on a tout intérêt à ne pas se tromper de maître.